Du Parménide de Platon à la Vie de Plotin par Porphyre, on trouvera ici deux cours délivrés, entre 1973 et 1983, par Lucien Jerphagnon (1921-2011) à ses étudiants de philosophie de l'université de Caen, parmi lesquels Michel Onfray, auteur de la préface. Le commentaire linéaire que propose le professeur Jerphagnon à ses étudiants, s'il a la clarté que confère une érudition maîtrisée, n'a cependant pas le charme familier des recueils plus intimistes que son De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles ou l'Homme qui riait avec les Dieux (Albin Michel, 2011 et 2013). La matière de départ est ici ardue. Le Parménide, dans lequel Platon expose sa vision d'un être absolument transcendant, l'Un, "qui est au-delà des essences", a une réputation justifiée de difficulté. Et c'est justement la raison pour laquelle sa lecture nécessite un guide. 

Lucien Jerphagnon excelle à déceler dans le texte, entres les lignes, dissimulées sous les allusions, les piques et l'ironie, les intentions secrètes de Platon, comme le fait de son côté Leo Strauss. Le Parménide cherche en effet à prendre ses distances avec un certain platonisme scolaire qui est en train de naître et qui déçoit le maître de l'Académie. La Vie de Plotin par son disciple Porphyre est d'un abord plus facile: cette biographie intellectuelle (dont on lira le texte bilingue dans la collection "Classique en poche" aux Belles Lettres, 2013) fait une place aux misères du quotidien dont souffrait ce professeur qui enseigna en grec un nouveau platonisme - il est le vrai fondateur du néoplatonisme- à la cour de l'empereur Gallien (260-268). On sait que cette Vie débute par cette affirmation étonnante: 

"Plotin semblait avoir honte d'être dans un corps." Lucien Jerphagnon démontre brillamment comment cette idée est en soi platonicienne et comment elle a pu préparer ce que les chrétiens vivront comme "un renoncement à la chair" pour reprendre les mots de Peter Brown. Plotin, écrit l'auteur, "est vigilant à l'esprit". Par la pratique de cette tasis, il était comme un veilleur. 

 

Stéphane Ratti